The tramp stamp

Curieux comme dès la première poignée de mains, au moment où l’on m’a présentée à elle, j’ai su que cela n’irait pas. Il y a des gens comme ça, ou des intuitions. La main était mollassonne, trahissant la méprisante obligation de devoir saluer une « rivale » qu’on va adorer détester; le regard fut à la fois fuyant et noir, le son de sa voix froid au point que je crus apercevoir une langue fourchue sur le point de sortir et d’osciller devant moi. La vipère, je ne l’avais pas au poing, mais je la serrais dans ma main.

Parce que, pour ces gens, tout individu du même sexe est un rival. Il n’y a rien à craindre du sexe opposé, juste à minauder. Et tant que ça marche, ils jouent.

Physiquement, nous étions assez semblables toutes les deux; même coupe et couleur de cheveux, même couleur d’yeux; elle avait cependant l’avantage en âge.

J’ai mis une semaine avant de me rendre compte que son avantage ultra-concurrentiel tenait au fait qu’elle couchait avec le patron de deux fois son âge. Quand on combine la flatterie à la vanité et la faiblesse masculine, c’est le début des déconvenues pour le reste du peuple, noblesse, clergé et tiers-état tous inclus,  même si la situation est vouée à être temporaire. En attendant, notre Icare, pétrie de certitudes, avait des ailes. Elle devait aux rabâchage et bachotage ses petites envolées de singe savant dénué de toute expérience de vie. Elle devait à l’innée sa vulgarité, il n’y avait aucun travail ni aucun artifice à ajouter: un diamant brut. En outre, sa situation sexuelle lui octroyait des privilèges, comme celui d’arriver habillée au bureau comme si elle allait descendre les poubelles. Les jours d’efforts vestimentaires, elle se pavanait avec un petit haut moulant exhibant impudiquement une poitrine généreuse avec un pantalon tout aussi moulant taille basse, laissant entrevoir la naissance de sa raie des fesses et le tatouage du bas du dos que les Américains appellent chaleureusement le “tramp stamp” (la marque de la traînée). Et puis, il y avait ses jours de sport pendant la pause déjeuner. Elle partait à pied à la salle d’à côté, déjà changée et pouvait en revenir quelquefois  1 à 2 heures après… dans le même habit de lumière, de lycra et de sueur, non douchée.

Le patron n’était pas le premier, elle en avait écumé d’autres dans la boutique ou en Navarre, mais là le décrochement de la queue du Mickey l’emplissait d’une suffisance qu’il aurait été cruel de lui contester, tant cette performance semblait la combler socialement.

Son intimité avec la verge royale l’auto-proclamait Reine des abeilles et la rendait populaire, à moins que cette popularité ne soit que le fruit d’un instinct de survie ou d’un opportunisme malsain de ses courtisans, aux relents surannés des temps peu glorieux pendant lesquels collaborateurs et délateurs avaient mené l’Homme à la quintessence de la bassesse. Le lieu de travail était donc divisé en deux groupes: la Cour et la Vermine, dont elle restait seule décisionnaire du classement dans l’un ou l’autre groupe. Le classement parmi la Vermine menait à deux chemins: le discrédit professionnel ou l’administration de l’emploi. Le dernier fait d’armes était récent.

J’ai eu l’honneur de cumuler le traitement. Il a d’abord fallu me faire comprendre que j’étais de trop. Elle se plaisait à ne pas répondre à mes salutations, se délectait à inverser la situation auprès de la Cour. Elle exultait à m’ignorer dans la cuisine et continuer à parler aux Élus. Saquer mon travail indirectement, au mépris des causeries intempestives de ce microcosme social, lui apportait une jouissance incommensurable, qui allait la mener à coup sûr à ses fins d’éviction, jouant par la même occasion avec la crédulité du Maître Corbeau flatté qui vit aux dépens de celui qui l’écoute.

Je me suis souvent demandé si le code de déontologie qui régit sa profession avait été fait pour contrecarrer d’usuels écarts de comportements de ce type. Je garde cependant foi en l’Homme.

Pour mon cas, l’issue était tant cousue de fil blanc qu’il me restait à l’observer consciencieusement. Ces démonstrations calculées de son insécurité personnelle me navraient. Était-elle donc si peu confiante qu’il faille  écraser les gens pour s’assurer la pérennité de sa triste condition?

La supériorité de mon âge s’avère cependant tourner à mon avantage: j’ai appris que les claques arrivent pour tout le monde sans qu’il ne soit besoin de les distribuer, même aux gens laids. Il n’y a qu’à patienter, … avec un peu de venin.

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Publié dans Ca m'agace
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