Habebam Matrem

Elle faisait un mètre 55, et quand on fait cette taille, on veut paraître plus grand.

Elle chaussait du 35 ; alors trouver des escarpins talons hauts revenait à une quête du Graal acharnée.

Elle se levait tôt pour se maquiller; elle était très maquillée, toujours. Elle avait tous ses produits et accessoires dans un vanity, qu’elle posait tous les matins sur la table de la cuisine à défaut d’avoir une coiffeuse et aussi la place pour la mettre. Devant le miroir de poche de la valisette, ses séances d’alternance entre grimaces pour ne pas riper ou dépasser, choix de la couleur et changement du pinceau, me fascinaient.

Elle avait les cheveux courts, toujours. Je n’ai jamais compris pourquoi. Par commodité peut-être, elle qui les avait eus longs longtemps. Et à chaque fois que je criais quand elle me brossait les cheveux, immanquablement, elle me disait : « Tu cries ? Je coupe ! » Alors je souffrais en silence. J’aime bien les cheveux longs moi. Et puis, elle me faisait des super nattes qui se tenaient bien.

Elle aimait Simon & Garfunkel, Charles Dumont, Jacques Brel et Serge Lama. Mrs Robinson, les Amants, les Flamandes et l’enfant au piano furent par conséquent mes compagnons musicaux dans mon imaginaire débordant de petite fille unique.

Elle n’aimait pas le sport mais adorait la gymnastique de l’esprit du latin et du grec. Elle adorait la civilisation anglo-saxonne, la littérature, le cinéma, surtout les westerns et le corps de Charles Bronson.

Elle n’aimait pas les religieux et ne croyait pas en Dieu mais s’était portée volontaire pour les cours de catéchisme le mercredi parce qu’il fallait bien apporter un peu de culture à ces enfants et que la culture, c’est trop important pour être laissée dans les mains de grenouilles de bénitier. Moi, j’aimais bien ses cours de catéchisme parce que j’y allais en pantoufles; j’ai pris le côté pénard de l’instruction religieuse qui m’a menée à l’autel pour ma communion solennelle, alternant les pas de charleston et les petites menées classiques du parvis à la croisée du transept, sous les yeux ébaubis et les airs réprobateurs des pieux et des vieux.

Elle adorait ses parents adoptifs: elle avait été adoptée à l’âge de deux ans au tout début des années 50. Elle n’a jamais cherché à connaître ses origines et d’ailleurs, à juste titre tant les retrouvailles étaient plus qu’improbables et tant elle ne voulait pas bouleverser SA famille par des intrusions génétiquement légitimes mais semeuses de troubles.

Malgré les dégâts de la routine, elle adorait son mari, qui l’aimait en retour, à sa façon : souvent en se permettant de  la « comparer » en en testant d’autres. Elle le savait ou s’en doutait, quand elle déglutissait avec peine à cette pensée, elle prenait une cigarette. Alors, je savais. Maladroitement, je questionnais pour m’assurer de mon ressenti, n’obtenais pas de réponse, et restais impuissante à la réconforter.

Elle m’embêtait toujours. Il fallait que je m’active pour tout: les devoirs, aller à la danse, finir mon petit-déjeuner, m’habiller. Mais pourquoi les parents sont-ils toujours pressés ?

Elle cuisinait des roses des sables, des puddings et des îles flottantes avec du caramel dessus qu’on peine à casser, mais pas trop pour qu’il craque bien sous la dent.

Elle ne m’a jamais dit qu’elle m’aimait, mais peut-on ne pas aimer son enfant ?

Elle s’est remise à travailler quand j’ai été en âge de me débrouiller. Mais elle est tombée malade. Je n’étais pas si grande que ça moi, je trouve, pour affronter ces changements dont le dernier ne fut jamais nommé en ma présence.

Elle est morte il y a 30 ans.

On s’habitue au vide sans oublier. Les images se floutent pourtant, malgré nous, mais les souvenirs restent. On pense à elle dans les bons moments, ces moments où l’on se livre à cette illusion qu’elle nous voit de là où elle est. On a besoin d’elle dans les sales moments, toujours. On se demande si, en restant, elle aurait pu nous aider à affronter la mocheté du monde. Puis on s’en persuade. Elle me manque.

Elle était ma mère.

 

 

 

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Publié dans un peu de moi
1 comments on “Habebam Matrem
  1. […] la foi familiale, c’est vrai que ça ne partait pas super bien pour la mienne. Mais ce n’était pas perdu pour […]

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